Thursday, December 18, 2008

Essais 1, ch 15

CHAPITRE XV
De la punition de la couardise

J'OUIS autrefois tenir à un Prince, et trèsgrand Capitaine, que pour lâcheté de coeur un soldat ne pouvait être condamné à mort : lui étant à table fait récit du procès du Seigneur de Vervins, qui fut condamné à mort pour avoir rendu Boulogne.

A la vérité c'est raison qu'on face grande différence entre les fautes qui viennent de notre faiblesse, et celles qui viennent de notre malice. Car en celles ici nous nous sommes bandés à notre escient contre les règles de la raison, que nature a empreintes en nous : et en celles là, il semble que nous puissions appeller à garant cette même nature pour nous avoir laissé en telle imperfection et défaillance. De manière que prou de gens ont pensé qu'on ne se pouvait prendre à nous, que de ce que nous faisons contre notre conscience : Et sur cette règle est en partie fondée l'opinion de ceux qui condamnent les punitions capitales aux hérétiques et mécréans : et celle qui établit qu'un Avocat et un Juge ne puissent être tenus de ce que par ignorance ils ont failli en leur charge.

Mais quant à la couardise, il est certain que la plus commune façon est de la châtier par honte et ignominie. Et tient-on que cette règle a été premièrement mise en usage par le législateur Charondas : et qu'avant lui les lois de Grece punissaient de mort ceux qui s'en étaient fuis d'une bataille : là où il ordonna seulement qu'ils fussent par trois jours assis emmi la place publique, vêtus de robe de femme : espérant encores s'en pouvoir servir, leur ayant fait revenir le courage par cette honte. Suffundere malis hominis sanguinem quam effundere. Il semble aussi que les lois Romaines punissaient anciennement de mort, ceux qui avaient fui. Car Ammianus Marcellinus dit que l'Empereur Julien condamna dix de ses soldats, qui avaient tourné le dos à une charge contre les Parthes, à être dégradés, et apres à souffrir mort, suivant, dit-il, les lois anciennes. Toutes-fois ailleurs pour une pareille faute il en condamne d'autres, seulement à se tenir parmi les prisonniers sous l'enseigne du bagage. L'âpre châtiment du peuple Romain contre les soldats échappés de Cannes, et en cette même guerre, contre ceux qui accompagnèrent Cn. Fulvius en sa défaite, ne vint pas à la mort.

Si est-il à craindre que la honte les désespère, et les rende non froids amis seulement, mais ennemis.

Du temps de nos Pères le Seigneur de Franget, jadis Lieutenant de la compagnie de Monsieur le Maréchal de Chastillon, ayant par Monsieur le Maréchal de Chabannes été mis Gouverneur de Fontarabie au lieu de Monsieur du Lude, et l'ayant rendue aux Espagnols, fut condamné à être dégradé de noblesse, et tant lui que sa posterité declaré roturier, taillable et incapable de porter armes : et fut cette rude sentence executée à Lyon. Depuis souffrirent pareille punition tous les gentils-hommes qui se trouvèrent dans Guyse, lors que le Conte de Nansau y entra : et autres encore depuis.

Toutesfois quand il y aurait une si grossière et apparente ou ignorance ou couardise, qu'elle surpassât toutes les ordinaires, ce serait raison de la prendre pour suffisante preuve de méchanceté et de malice, et de la châtier pour telle.