Saturday, December 13, 2008

Essais, Ch 5

CHAPITRE V
Si le chef d'une place assiegee, doit sortir pour parlementer

LUCIUS MARCIUS Légat des Romains, en la guerre contre Perséus, Roy de Macédoine, voulant gagner le temps qu'il lui fallait encore à mettre en point son armée, sema des entregets d'accord, desquels le Roy endormi accorda trève pour quelques jours fournissant par ce moyen son ennemi d'opportunité et loisir pour s'armer : d'où le Roy encourut sa dernière ruine. Si est-ce, que les vieux du Sénat, mémoratifs des moeurs de leurs pères, accusèrent cette pratique, comme ennemie de leur style ancien : qui fut, disaient-ils, combattre de vertu, non de finesse, ni par surprises et rencontres de nuit, ni par fuites apostées, et recharges inopinées : n'entreprenant guerre, qu'après l'avoir dénoncée, et souvent après avoir assigné l'heure et lieu de la bataille. De cette conscience ils renvoyèrent à Pyrrhus son traître Médecin, et aux Phalisques leur déloyal maître d'école. C'étaient les formes vraiement Romaines, non de la Grecque subtilité et astuce Punique, ou le vaincre par force est moins glorieux que par fraude. Le tromper peut servir pour le coup : mais celui seul se tient pour surmonté, qui sait l'avoir été ni par ruse, ni de sort, mais par vaillance, de troupe à troupe, en une franche et juste guerre. Il appert bien par ce langage de ces bonnes gens, qu'ils n'avaient encore reçu cette belle sentence :

dolus an virtus quis in hoste requirat ?

Les Achaïens, dit Polybe, detestaient toute voie de tromperie en leurs guerres, n'estimant victoire, sinon où les courages des ennemis sont abbatus. Eam vir sanctus et sapiens sciet veram esse victoriam, quæ salva fide, et integra dignitate parabitur, dit un autre :

Vos ne velit, an me regnare hera : quidve ferat fors
Virtute experiamur.

Au Royaume de Ternate, parmi ces nations que si à pleine bouche nous appelons Barbares, la coutume porte, qu'ils n'entreprennent guerre sans l'avoir denoncée : y ajoutant ample déclaration des moyens qu'ils ont à y employer, quels, combien d'hommes, quelles munitions, quelles armes, offensives et défensives. Mais aussi cela fait, ils se donnent loi de se servir à leur guerre, sans reproche, de tout ce qui aide à vaincre.

Les anciens Florentins étaient si éloignés de vouloir gagner avantage sur leurs ennemis par surprise, qu'ils les avertissaient un mois avant que de mettre leur exercite aux champs, par le continuel son de la cloche qu'ils nommaient, Martinella.

Quant à nous moins superstitieux, qui tenons celui avoir l'honneur de la guerre, qui en a le profit, et qui après Lysander, disons que, où la peau du Lyon ne peut suffire, il y faut coudre un lopin de celle du Renard, les plus ordinaires occasions de surprise se tirent de cette pratique : et n'est heure, disons nous, où un chef doive avoir plus l'oeil au guet, que celle des parlements et traités d'accord. Et pour cette cause, c'est une règle en la bouche de tous les hommes de guerre de notre temps, Qu'il ne faut jamais que le gouverneur en une place assiègée sorte lui même pour parlementer. Du temps de nos pères cela fut reproché aux seigneurs de Montmord et de l'Assigni, défendant Mouson contre le Conte de Nansau. Mais aussi à ce conte, celui là serait excusable, qui sortirait en telle façon, que la sûreté et l'avantage demeurât de son côté : Comme fit en la ville de Regge, le Comte Guy de Rangon (s'il en faut croire du Bellay, car Guicciardin dit que ce fut lui même) lors que le Seigneur de l'Escut s'en approcha pour parlementer : car il abandonna de si peu son fort, qu'un trouble s'étant ému pendant ce parlement, non seulement Monsieur de l'Escut et sa troupe, qui était approchée avec lui, se trouva le plus faible, de façon qu'Alexandre Trivulce y fut tué, mais lui même fut contraint, pour le plus sûr, de suivre le Comte, et se jetter sur sa foi à l'abri des coups dans la ville.

Eumenes en la ville de Nora pressé par Antigonus qui l'assiègeait, de sortir pour lui parler, alléguant que c'était raison qu'il vînt devers lui, attendu qu'il était le plus grand et le plus fort : après avoir fait cette noble réponse : Je n'estimerai jamais homme plus grand que moi, tant que j'aurai mon épée en ma puissance, n'y consentit, qu'Antigonus ne lui eut donné Ptolomæus son propre neveu otage, comme il demandait.

Si est-ce qu'encore en y a-il, qui se sont trèsbien trouvés de sortir sur la parole de l'aissaillant : Témoin Henry de Vaux, Chevalier Champenois, lequel étant assiègé dans le Château de Commercy par les Anglais, et Barthélémy de Bonnes, qui commandait au siège, ayant par dehors fait saper la plupart du Château, si qu'il ne restait que le feu pour accabler les assiègés sous les ruines, somma ledit Henry de sortir à parlementer pour son profit, comme il fit lui quatrième ; et son évidente ruine lui ayant été montrée à l'oeil, il s'en sentit singulièrement obligé à l'ennemi : à la discrétion duquel, après qu'il se fut rendu et sa troupe, le feu étant mis à la mine, les étançons de bois venus à faillir, le Château fut emporté de fond en comble.

Je me fie aisément à la foi d'autrui : mais mal-aisément le ferai-je, lors que je donnerais à juger l'avoir plutôt fait par désespoir et faute de coeur, que par franchise et fiance de sa loyauté.


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Texte original ici.