Thursday, December 18, 2008

Essais ch 6

CHAPITRE VI
L'heure des parlemens dangereuse

TOUTES-FOIS je vis dernièrement en mon voisinage de Mussidan, que ceux qui en furent délogés à force par notre armée, et autres de leur parti, criaient comme de trahison, de ce que pendant les entremises d'accord, et le traité se continuant encore, on les avait surpris et mis en pièces. Chose qui eut eu à l'aventure apparence en autre siècle ; mais, comme je viens de dire, nos façons sont entièrement éloignées de ces règles : et ne se doit attendre fiance des uns aux autres, que le dernier s(c)eau d'obligation n'y soit passé : encore y a il lors assez affaire.

Et a toujours été conseil hasardeux, de fier à la licence d'une armée victorieuse l'observation de la foi, qu'on a donnée à une ville, qui vient de se rendre par douce et favorable composition, et d'en laisser sur la chaude, l'entrée libre aux soldats. L(ucius) Æmylius Regillus Prêteur Romain, ayant perdu son temps à essayer de prendre la ville de Phocées à force, pour la singulière prouesse des habitants à se bien défendre, fit pache avec eux, de les recevoir pour amis du peuple Romain, et d'y entrer comme en ville confédérée : leur ôtant toute crainte d'action hostile. Mais y ayant quand et lui introduit son armée, pour s'y faire voir en plus de pompe, il ne fut en sa puissance, quelque effort qu'il y employât, de tenir la bride à ses gens : et vit devant ses yeux fourrager bonne partie de la ville : les droits de l'avarice et de la vengeance, suppéditant ceux de son autorité et de la discipline militaire.

Cléomènes disait, que quelque mal qu'on puisset faire aux ennemis en guerre, cela estait par dessus la justice, et non sujet à icelle, tant envers les dieux, qu'envers les hommes : et ayant fait trève avec les Argiens pour sept jours, la troisième nuit après il les alla charger tous endormis, et les défit, alleguant qu'en sa trève il n'avait pas été parlé des nuits : Mais les dieux vengèrent cette perfide subtilité.

Pendant le Parlement, et qu'ils musaient sur leurs sûretés, la ville de Casilinum fut saisie par surprise. Et cela pourtant au siècle et des plus justes Capitaines et de la plus parfaite milice Romaine : Car il n'est pas dit, qu'en temps et lieu il ne soit permis de nous prévaloir de la sottise de nos ennemis, comme nous faisons de leur lâcheté. Et certes la guerre a naturellement beaucoup de privilèges raisonnables au préjudice de la raison. Et ici faut la règle, neminem id agere, ut ex alterius prædetur inscitia. (on ne doit pas chercher à profiter de l'ignorance d'autrui)

Mais je m'étonne de l'étendue que Xénophon leur donne, et par les propos, et par divers exploits de son parfait Empereur : auteur de merveilleux poids en telles choses, comme grand Capitaine et Philosophe des premiers disciples de Socrates, et ne consens pas à la mesure de sa dispense en tout et par tout.

Monsieur d'Aubigny assiégeant Capoue, et après y avoir fait une furieuse batterie, le Seigneur Fabrice Colonne, Capitaine de la ville, ayant commencé à parlementer de dessus un bastion, et ses gens faisants plus molle garde, les nôtres s'en emparèrent, et mirent tout en pieces. Et de plus fresche memoire à Yvoy, le seigneur Julian Rommero, ayant fait ce pas de clerc de sortir pour parlementer avec Monsieur le Connétable, trouva au retour sa place saisie. Mais afin que nous ne nous en allions pas sans revanche, le Marquis de Pesquaire assiégeant Gênes, ou le Duc Octavian Fregose commandait sous notre protection, et l'accord entre eux ayant été poussé si avant, qu'on le tenait pour fait, sur le point de la conclusion, les Espagnols s'étans coulés dedans, en usèrent comme en une victoire plénière : et depuis à Ligny en Barrois, où le Comte de Brienne commandait, l'Empereur l'ayant assiegé en personne, et Bertheuille Lieutenant dudit Comte étant sorti pour parlementer, pendant le parlement la ville se trouva saisie.

Fu il vincer sempre mai laudabil cosa,
Vincasi o per fortuna o per ingegno,
(Vaincre est toujours chose louable,
Que ce soit par chance ou par ingéniosité)

disent-ils : Mais le Philosophe Chrysippus n'eut pas été de cet avis : et moi aussi peu. Car il disait que ceux qui courent à l'envie, doivent bien employer toutes leurs forces à la vistesse, mais il ne leur est pourtant aucunement loisible de mettre la main sur leur adversaire pour l'arrêter : ni de lui tendre la jambe, pour le faire choir.

Et plus généreusement encore ce grand Alexandre, à Polypercon, qui lui (per)suadait de se servir de l'avantage que l'obscurité de la nuit lui donnait pour assaillir Darius. Point, dit-il, ce n'est pas à moi de chercher des victoires dérobées : malo me fortunæ poeniteat, quam victoriæ pudeat. (je préfère souffrir de la fortune, que d'avoir honte de ma victoire)

Atque idem fugientem haud est dignatus Orodem
Sternere, nec jacta cæcum dare cuspide vulnus :
Obvius, adversoque occurrit, seque viro vir
Contulit, haud furto melior, sed fortibus armis.
(Il ne daigna pas frapper Orode dans sa fuite
Ni le blesser d'une lance qu'il ne verrait pas
Il courut vers lui, et le confronta face à face
Il ne gagna pas par la ruse, mais par les armes)